
Je souhaite depuis longtemps amorcer ce patchwork d’idées, de trouvailles, de lectures, de réflexions. Je rêve d’habiter un monde où on n’achètera plus des fraises poches de l’autre bout de planète qui goûtent rien juste parce qu’on a envie de fraises quand c’est pas le temps sans se demander »Comment diantre peuvent-elles coûter 1.25$ alors qu’elles ont été plantées, arrosées, sarclées, cueillies, emballées, shippées, transférées chez un distributeur pour ensuite se rendre dans un supermarché au bout de ma rue? » Ou encore « Veux-tu ben me dire quessé qu’y ont pu mettre dedans pour qu’elles soient aussi dures, sans goût, shinnées et insignifiantes après une traversée complète des Amériques? » Ou mieux, un monde où on se dirait « Comment diable ce petit producteur de fraises bio du Québec qui me vend le fruit de son labeur annuel peut-il arriver à survivre en me vendant ce casseau de délicieuses fraises 5.25$ alors qu’en tout et partout il a dû mettre au moins 15 heures pour le produire? »
À une époque où tant d’idioties nous submergent régulièrement, où nos gouvernements nous font honte plus souvent qu’à leur tour en gagnant les concours les plus extrêmes de détricotage des acquis souvent rien que parce que quelqu’un d’autre avait choisi la couleur de la laine, à une époque où on regarde ce qui se passe chez nous comme on regarde la TV sur le neutre comme anesthésiés, je rêve vraiment d’autre chose.
Je rêve du jour où nous comprendrons que non, la vie n’est pas qu’une grande décision individuelle. Est-ce que chaque geste posé est nécessairement légitimé du seul fait qu’il est l’expression de notre superbe individualité personnelle? Oui acheter c’est voter, mais combien de temps encore voterons-nous sans le reconnaître, parfois même sans le savoir? Nos gestes nous lient aux autres, ça s’adonne. Oui acheter bio, acheter local, c’est poser un geste. Mais on s’entend que de ne pas le faire aussi c’est poser un geste. Chaque geste pose un geste. Et chaque casseau de fraises à 1.25$ acheté en janvier chez nous conforte le commerçant qui le vend dans son geste et l’incite à en importer encore un autre la semaine suivante. C’est pas sa faute, la demande est là et c’est pas la faute des clients non plus, on en achète parce qu’il y en a (pis anyways si c’est pas moi qui l’achète ce sera un autre… right?) Et pendant ce temps-là, tranquilement le même casseau à 1.25$ coupe les jambes de notre producteur bio qui ne peut vendre aussi bas même en haute saison en respectant les procédés qui préservent la terre et un bout de la capacité de nous nourrir chez nous nous-mêmes.
Comment pouvons-nous même discuter d’avoir un pays si on n’est pas prêts à payer pour nos propres fraises? Je me pose vraiment la question. Mais j’y crois. À notre intelligence souvent individuelle, parfois et éventuellement collective. Ah oui je suis choquée, ben tannée, souvent outrée, mais on ne restera pas assis à rien faire. Y’a plein de bonne idées, de voix, de voies intéressantes, importantes, innovantes, essentielles.
Chez nous, la soupe verte se brasse une fois par semaine. C’est une soupe de restants, un patchwork alimentaire, une façon de faire du bon avec du quasiment vieux ou déjà cuit, un genre d’hommage à celles qui savaient racc’moder comme ma grand-mère. Mes restants de légumes, tous les feuillages comestibles, tout ce qui est blanc (patates, panais, celeri-rave, etc.), tout ce qui est vert, des céréales cuites pour la texture (riz brun, blanc, quinoa, couscous, sorgho, peu importe), des épices. Tout ça cuit à tranquillement pour se prendre à la toute fin une poignée de verdure crue qui donne un vert quasi limette, un vert de printemps.
Ma soupe verte est un potage de restants. Mais comme le vert est fashion, c’est plus cute une soupe verte qu’une soupe de restes.
Bon appétit
JB